En classe de sil (section d'initiation à la lecture), j'avais une institutrice, Mme Etémé, qui n'y allait pas avec le dos de la cueillière pour nous faire assimiler les leçons de lecture. Le caoutchouc -en fait, une courroie blindée ou non de moulin électrique à écraser- cinglait sur la paume de main ou sur le dos de l'élève qui ne parvenait pas à reprendre les fameux: "p-a-pa, pi-pi, papa fume la pipe." Quand l'élève fouetté, ne supportant plus l'atroce douleur, refusait d'obtempérer à l'ordre de présenter la partie du corps par lequel le châtiment corporel lui était administré, notre institutrice entrait dans une rage folle et frappait à l'aveuglette sur toutes les parties du corps. Elle avait peut-être l'excuse (sic) d'être éthylique.
Avant la fin la fin de cette année scolaire-là, je pus percer les secrets et les joies de la lecture non pas grâce au fouet, mais plutôt à la méthode d'enseignement utilisée: la méthode syllabique ou encore la méthode Boscher comme disent les professionnels. J'eus "la chance" comme beaucoup d'autres enfants de ma génération -je ne parle même pas de celles de nos parents- de bénéficier de cette approche pédagogique qui relevait simplement du bon sens. Et ce bon sens, notre mère l'avait où elle comprit très vite l'intérêt de cette méthode et nous l'appliquait à la maison. Soit dit en passant, elle n'avait que le certificat d'étude primaire comme diplôme le plus élevé.
Mais je suis poussé à croire que nos institutions éducatives n'appliquaient la méthode Boscher que par mimétisme puis qu'elles adoptèrent plus tard la méthode globale, fruit des esprits fertiles français qui s'attelaient depuis mai 68 à défaire l'héritage culturelle, sociale et éducatif de leur propre pays et civilisation. C'est ainsi que l'apprentissage de la lecture au Cameroun devint une victime collatérale et indirecte des soixante-huitards français. A force d'avaler sans esprit critique, nous avions d'abord pris du bon puis l'avions remplacé par le mauvais venant de la France.
Le résultat fut bien tangible sur le benjamin de notre fatrie. Probablement handicapé par le syndrome d'Asperger, il ne ne comprenait rien aux leçons de lecture que lui prodiguaient des instituteurs à qui les inspections pédagogiques demandaient d'appliquer des méthodes d'apprentis sorciers. Il accusait alors un inquiétant retard scolaire. Il fallut que l'un d'entre nous, ses frères, eu l'intuition de revenir à la méthode syllabique et tout d'un coup, notre frère comprit les mécanismes basiques de la lecture.
On pourrait relever que les problèmes de notre frère trouvait plus sa source dans le handicap que j'ai évoqué plus haut. Qu'il me soit permis de dire que s'il ne s'agissait que de notre frère, il n'y aurait peut-être pas matière à écrire un billet. Mais force est de constater que si les statistiques disent que la population camerounaise est alphabétisée à plus de 65%, une observation empirique me permet d'avancer qu'une enquête du genre test PISA révélerait un taux d'illettrisme ahurissant dans notre pays.
Pour expliquer notre faible pratique de la lecture, on évoque trop complaisement l'accès difficile aux livres à cause de la précarité économique. Et pourtant, les libraires du "poteau" démentent en grande partie cette justification en proposant des livres de bonnes qualité -question contenu bien sûr- à des prix modiques. Reconnaissons-le, la pluspart d'entre nous ne lisons parce que cette exercice nous est trop diffile. L'école ne nous ayant pas formé pour cela comme il fallait dès notre prime enfance, nous préferrons de loin regarder la télévision, ce qui est bien moins exigeant intellectuellement.
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