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Petite contribution à la mandelâtrie ambiante

Quand le jeudi 5 décembre 2013 dans la soirée vers 22 h, j'ai pris connaissance par la télé de la mort de l'ancien président sud-africain Nelson Mandela, je me suis dit: "Ça y est ! Voilà le concert de dithyrambes qui commencent et nous en auront comme ça pour plusieurs jours !" 





Etant peu d'humeur à écouter les prestations hagiographiques des journalistes, des commentateurs et des hommes politiques sur les médias camerounais et internationaux, je dois me faire violence pour ne plus lire, écouter ou regarder pendant plusieurs jours la presse d'informations. Et pourtant, dans la passé, j'ai moi aussi idolâtré ce Mandela-là qui ne manquait certainement pas de qualités.


Ce fut un dimanche 11 février 1990 que l'inénarrable CRTV diffusa en direct la sortie de prison de Mandela accompagné de son épouse d'alors la sulfureuse Winnie. C'était vers 11 h et nous étions tous devant le petit écran. Le Cameroun célébrait la Fête de la Jeunesse mais cet événement était relégué bien au-delà du second rang de l'actualité. Nous, enfants du Renouveau, connaissions peu l'histoire de l'Afrique en général et de l'Union sud-africaine en particuliers.

Mais nous étions déjà fortement imprégnés du mythe Mandela. Des musiciens camerounais de premier rang, à l'instar de Sam Fan Thomas ou du groupe Zangalewa, chantaient en son honneur quand il était encore prisonnier. Nous apprécions aussi les prestations radio et télédiffusées de Johnny Clegg, ce talentueux musicien sud-africain blanc très engagé contre l'apartheid et qui manquait rarement d'évoquer Nelson Mandela, le plus célèbre et l'un des plus ancien prisonnier politique au monde.


A la CRTV, il y avait une émission en anglais diffusée chaque dimanche à midi, The World This Week, où était fait une rétrospective hebdomadaire de l'actualité internationale et dont le générique contenait quelques images de Mandela à l'occasion de la fameuse interview que le prisonnier avait accordé à un journaliste de la BBC. Mandela y apparaissait avec cette singulière raie qui fendait sa chevelure du front à la nuque. Enfants, nous rêvions de nous coiffer comme Mandela mais nous savions aussi que nos parents et nos instituteurs ne l'auraient pas du tout admis.

Mandela avait réussi à forcer le respect de ses adversaires et des sceptiques par son absence de rancœur, sa volonté de réconciliation et sa modestie. Malgré toutes les abjections que le régime d'apartheid avait fait subir aux populations négro-africaines de son pays, il refusa de laisser libre cours à un certain esprit de revanche. Même à l'époque où il abandonna l'approche non violente et mit sur pied la branche armée de l'ANC, il disait déjà n'avoir l'intention de substituer une domination noire à la domination blanche.


Dès sa sortie de prison, il adopta la voie de la réconciliation nationale des différentes communautés sud-africaines. Cela se traduisit par la formation d'un gouvernement d'union nationale bien que l'ANC nouvellement hégémonique aurait pu se passer de toute coalition gouvernementale et surtout par l'immense travail de catharsis de la célèbre commission Vérité et Réconciliation.  

L'une de qualité que j'avais aussi beaucoup apprécié chez Mandela fut aussi une certaine humilité. Il savait que son statut de héros national et son background de combattant inflexible et courageux ne faisait pas forcément de lui un bon gestionnaire. Pendant ses 27 années passées en prison, le monde avait beaucoup changé. L'Union Soviétique qui soutenait l'ANC s'était effondré et si l'ANC qui adhérait aux thèses économiques marxistes avait voulu s'y conformer dans la pratique, il n'aurait pu compter sur le soutien financier de la puissance communiste pour faire illusion quelques temps.


En authentique démocrate, il se retira après n'avoir accompli qu'un seul mandat. Il avait écouté la voix de la sagesse qui lui indiquait que sa mission politique était achevée: mettre fin à l'odieux système de l'apartheid et assurer une transition pacifique vers une vraie démocratie.  

Mais, vous vous demandez peut-être: "Si l'auteur de ce billet éprouvait une certaine admiration pour Mandela, pourquoi ce titre équivoque?" La réponse est toute simple: c'est parce qu'on en fait franchement trop sur la personne de Mandela qu'on a paré de toute les vertus de son vivant. Franchement, quand j'entends ici et là que Mandela fut le père de la nation arc-en-ciel, les urticaires m'assaillent. Comment peut-on insulter la mémoire des premiers activistes pour l'égalité des droits ?! Pour rappel, Mandela n'était issu que de la troisième génération des dirigeants de l'ANC qui avait acquis bien avant lui une assise bien solide au sein des populations africaines d'Afrique du Sud.

Comment accorder le mérite de la victoire sur le régime d'apartheid presque exclusivement à Mandela en oubliant ses nombreux compagnons de combat qui n'eurent pas la chance de vivre aussi longtemps que lui ? Comment peut-on oublier que la transition fut pacifique et exemplaire en grande partie parce que des gens comme Frederik De Klerk, Afrikaners ou non et issus du régime en place, comprirent que l'ignominie ne pouvait plus perdurer ? Je ne parle même pas de ces intellectuels blancs d'Afrique du Sud tels que André Brink, Nadine Gordimer, Rian Malan ou Breyten Breytenbach qui lentement mais sûrement parvinrent à faire admettre aux membres de leurs communautés respectives la nature odieuse de l'apartheid. 

Et pourquoi ignorer les bouleversements géostratégiques majeurs qui affaiblirent la position du régime sud-africain et levèrent des obstacles devant l'ANC ? Je veux parler de l'effondrement du bloc communiste, soutien de l'ANC, ce qui rendait désormais nettement moins pertinent l'appui des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne au gouvernement sud-africain.

Pour finir, quant on regarde le bilan de gouvernement de Mandela, il est difficile pour un mandelâtre de clamer haut et fort que ce bilan fut franchement très au dessus la moyenne. Les populations africaines, en considération des vexations et des privations subies dans le passé, estimaient qu'il était temps qu'ils reçoivent leurs parts du formidable dynamisme économique de leur pays sans avoir vraiment à mettre la main à la charrue.

Mandela et l'ANC, biberonnés aux théories marxistes, avaient passé une bonne partie de leur temps à faire croire aux populations africaines que si elles miséraient, c'était à cause des Blancs et de leur capitalisme. Parvenus au pouvoir, il leur était impossible d'expliquer aux Africains que dans une économie qui marche, ils devaient se retrousser et les manches et entreprendre comme des capitalistes au lieu d'espérer une quelconque rente qui puisse leur permettre de sortir de la pauvreté. Jusqu'à ce jour, ils est courant d'entendre les Sud-Africains se plaindre de ne pas avoir bénéficier des fruits de la liquidation de l'apartheid... comme s'ils avaient espéré en leur for intérieur que le gouvernement ANC spolue à leur profit tous les Blancs de leur pays.

Peu d'éditorialistes vous le dirons : Mandela porte une grande responsabilité dans le grand retard qu'a pris son pays dans la lutte contre le SIDA qui ravageait pourtant son pays. La raison est que l'ANC et Mandela continuaient à croire aux sornettes répandues par le KGB à des fins de désinformation. Soit ils disaient le SIDA était causé par de mauvaises conditions de vie et non un quelconque virus, soit l'agent pathogène de maladie existait vraiment mais qu'il avait plutôt été produit par des laboratoires secrets américains, soit le SIDA était une vaste supercherie pour permettre aux fabricants de préservatifs de réaliser de juteuses affaires.


Je préfère arrêter la description du passif de Mandela de peur qu'on m'accuse de cracher sur sa tombe. A n'en point douter, il fut admirable à maints égards. Mains quand la considération légitime fait place à appréciation idolâtre, c'est la vérité qui prend la route du cimetière.


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