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Leçons d'une expérience professionnelle

Il y a quelques jours, j'ai pris un congé professionnel qui durera plusieurs semaines. Ceci explique pourquoi je ne suis plus très présent sur la Toile. J'espère mettre à profit cette période pour redonner vie à mon blog qui était entré en déshérence depuis fort longtemps, faute d'articles publiés.



Comme la plupart de mes rares lecteurs le savent déjà, je suis employé dans un cybercafé. J'y travaille de 8 h à 22 h, 6 jours sur 7 dans la semaine, avec très aléatoirement une heure de pause par jour. En plus d'apporter une assistance sensée n'être que légère aux clients internautes, je réalise des travaux d'opérations de saisie et de traitement de texte, de copies (photocopie), de scannage et bien d'autres tâches qu'ils seraient trop fastidieux de détailler ici. Après deux années d'activité intense -plus exactement 26 mois- l'impression que j'en ai tirée est des plus mitigées. 

D'une part, la joie de gagner en autonomie et d'être utile aux autres, la formidable possibilité d'observer à quel point internet et les TIC peuvent être utiles à la population. D'autre part, le stress consécutif à la charge de travail trop lourde et qui m'a plusieurs fois plongé dans burn out, la frustration de ne pouvoir apporter des améliorations et des innovations qui auraient pu faciliter la tâche des employés et perfectionner les services offerts, et enfin les exigences trop élevés d'une bonne partie de la clientèle qui ne cherchait pas trop à savoir si ce qu'elle payait correspondait à la qualité de service demandée.

Il y a à peu près 15 ans, l'homme d'affaire Paul Kenmogne Fokam, après avoir fondé l'Afriland First Bank, publia un essai Quand l'Afrique se lèvera. Il fut invité à en parler dans une émission d'entretien dominicale diffusée à la CRTV télé. M. Fokam allégua que le système de tontine -en fait, dans sa version africanisée- pouvait être une alternative crédible au système bancaire classique pour la mobilisation des capitaux. Pourquoi je parle de Paul Fokam? Parce qu'à chaque fois que je constatais avec dépit le manque de vision de mon employeur du métier du cybercafé, je me rappelais la déclaration de l'homme d'affaires et je concluais qu'à défaut d'avoir tout faux, il avait très faux.

Quand le capital pour lancer une entreprise provient d'un membre de la famille, quand ce membre de la famille continue à fournir avec une certaine complaisance la trésorerie bien que la rentabilité ne soit pas vraiment au rendez-vous, quand ce membre de la famille remet la gestion entre les mains de son filleul en s'appuyant plus sur les critères tels que la compatibilité d'humeur ou la complicité relationnelle plutôt que sur la compétence managériale, comment s'attendre à voir l'entreprise être gérer comme il se doit, quand bien même le filleul serait honnête par loyauté filiale ?

Quand le chemin pour obtenir un capital financier passe par des tontines qui très suivant fonctionnent au sein des associations ethniques qui n'ont pas leurs égales pour cultiver l'esprit tribaliste dans le cœur de leurs membres, quand ces associations contraignent leurs membres à l'extraversion à coup de ces réunions où on parle de tout et de rien durant des heures, quand il faut s'en tenir à l'heureux sort du hasard pour espérer obtenir sans grands frais l'apport financier désiré en temps et en heure voulus, comment s'étonner que de jeunes entrepreneurs dans l'âme qui ont pourtant des compétences techniques et managériales avérés en soit réduits à cravacher pendant trop longtemps pour arriver à leur fin ?  

Pour en revenir au cybercafé proprement dit, je ne saurai peut-être jamais vous décrire à quel point il fut difficile et frustrant de travailler : avec une connexion instable -et qu'un client pouvait facilement monopoliser- parce qu'on ignore qu'un routeur logiciel peut minimiser le problème ou qu'on est culturellement pas disposer à dépenser 80 000 frs CFA pour s'en procurer ; avec des ordinateurs surannés dont les configurations ne permettaient plus de supporter les logiciels les plus en pointe, et par ricochet rendaient leur usage et la navigation sur internet terriblement malaisés ; dans une organisation de travail dont le lexique ne comprenait pas les termes "ordre", "cohérence" et "logique".

Mon expérience au Cybercafé m'a aussi permis de constater à quel point le Cameroun manquait cruellement de capital humain. Des étudiants savaient si peu se servir d'internet pour se documenter, une trop grande proportion d'entre eux était si paresseuse qu'ils ne prenaient même pas la peine de lire sur l'écran d'ordinateur afin de s'orienter dans leur navigation sur internet. Pis encore, leur inculture en informatique ne leur rendait pas plus humble... loin de là. Le fait d'avoir passé le baccalauréat -peu importe que la note pour réussir ait été réduite à 08,5/20- et de suivre une formation universitaire -peu importe que le niveau de cette formation fut lamentablement bas- les rendait forcément supérieurs à des employés de cybercafé.

En réalisant des travaux de saisie de documents, je me suis rendu compte à quel point l'instruction scolaire et universitaire, après avoir touché le fonds, s'y mettait à la foreuse pour descendre encore plus bas. Je pense par exemple à ces étudiantes en communication qui pouvaient vous rédiger des paragraphes de plus de 25 lignes comme si on n’enseignait pas depuis l'école primaire à scinder un texte en paragraphes pas trop longs afin de ne pas dégrader la lisibilité. Je ne vous parle même pas de l'orthographe, de la grammaire et du style. Catastrophique ! Mais ce n'étais pas si grave que ça puisqu'elle obtenait généralement des notes supérieurs ou égales à 10/20 !

En observant la plupart de nos clients qui avaient le privilège de posséder des laptops, j'ai vu à quel point nous avions une élite fainéante et inutile à notre pays et à notre continent. Le laptop n'était pour eux qu'un moyen parmi tant d'autres de frimer. S'il est vrai qu'il est indispensable de mêler dans une vie équilibrée l'utile au futile, ces clients ne savaient se servir de leurs laptops que pour des futilités. Seule une trop infime minorité publiait sur le net, y effectuait des recherches ou développaient des projets.

Et pourtant, quand on étudie les personnalités d'Orient et d'Occident qui ont contribué peu ou prou à l'évolution politique, sociale, économique, scientifique et technologique de leurs civilisations, on se rendra compte que la plupart d'entre eux étaient issus sinon de familles aisées du moins de milieux sociaux qui n'étaient pas assommés par la grande pauvreté. Leur situation matériellement enviable leur donnait les moyens et le temps de s'instruire, de réfléchir et de s'engager dans des initiatives dont ils devaient loin d'être les seuls à en tirer les bénéfices. Malheureusement, il ne faut pas trop s'attendre à ce que nos concitoyens camerounais possesseurs de laptops empruntent cette voie-là.

Mais je préfère achever la peinture de ce triste tableau sur une note joyeuse. Il s'agit de l'allégresse qui me faisait frémir quand je voyais un client d'âge avancé essayer d'ouvrir une page Facebook pour promouvoir son activité économique ou s'atteler à maîtriser l'outil de recherche Google.            

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