Dans le précédent
billet de blog, j’ai commencé à décrire le contexte et les évènements
politiques qui contribuèrent mon éveil politique. Dans les lignes qui suivent,
j’explique précisément ce qui me fit radicalement changé de bord.
Ceux de mes
lecteurs qui sont nés après 1990 ne sauront peut-être jamais ce que fut le
bâillon que les citoyens lambda se mettaient pour ne pas exprimer la moindre
opinion dérangeant ou le moindre de fait pouvant passer pour une critique
implicite ou explicite du président Biya’a bi Mvondo.
Un jour, dans ma
naïveté d’enfant, je demandai à mes frères ainés et à haute voix si celui qui
tuerait Biya’a Paul prendrait
automatiquement le pouvoir. C’était après l’assassinat de Thomas Sankara et la
prise de pouvoir par Blaise Compaoré au Burkina Faso en 1987. Pour toute réponse, il me fut vivement recommander
de me taire sous peine d’être arrêter. “Arrêté? Mais pour avoir commis quelle
faute?” me demandai-je à mon for intérieur.
A l’école, on
nous apprenait que Biya’a bi Mvondo Paul Barthélémy était Notre Père de la
Nation, et son épouse Biya Jeanne Irène, Notre Mère de la Nation.
Afin que nos jeunes têtes puissent le retenir plus facilement, on nous faisait
chanter des odes à la gloire du couple présidentiel.
Bien sûr, il
n’était point question de l’ex-Père de la Nation, Ahidjo Amadou, dont le nom
était à peine évoqué dans les manuels scolaires d’histoire et d’instruction
civique. Quand le premier président du Cameroun décéda à Dakar le 30 novembre 1989, la
nouvelle ne fut rapportée à la radio que par un bref et laconique communiqué. Pardonnez
la tautologie !
Cela dit, il y
avait bien quelques têtes brûlés qui osaient perforer le bâillon de la
censure. Je pense en particuliers à Lapiro de Mbanga, un musicien très
populaire à cette époque-là, surtout chez ceux qui se considéraient comme des
laissés-pour-compte. Ce Lapiro avait fait de la prison, avait exercé le métier
de “sauveteurs” --camerounisme signifiant en fait des vendeurs à la sauvette,
et chantait en camfranglais et en pidgin,
Une grande partie de la jeunesse qui
subissait les marasmes de la crise économique et du chômage endémique prenait
en quelque sorte Lapiro pour son porte-parole. Le chanteur avait créé une mode vestimentaire
qui consistait à ne pas boutonner sa chemise --en tissu jean de préférence-- et
à relier les deux pans en les nouant. Je me rappelle qu’à cette époque-là, les
enfants qui osaient porter leurs chemises à la Lapiro s’exposaient à un
sec rappel à l’ordre parental.
Mais ce qui
faisait de Lapiro un héros de son temps était le fait qu’il osait critiquer le
pouvoir politique “entre les lignes” des textes de ces chansons. Pendant ses
concerts, il s’enhardissait bien plus encore. Je le sus sans vraiment m’en
rendre compte au cours d’un séjour au village de nos pères.
Mon frère et moi
rentrions des champs et fîmes un bon bout de chemin avec deux autres garçons.
Ceux-ci parlaient des déclarations pas du tout politiquement correcte de Lapiro
lors d’un de ses spectacles et des ennuis qu’il avait eu avec la police peu
après. Dans une naïveté infantile que possédaient peu d’autres enfants, je leur
posais des questions pour en savoir plus.
Mon frère, qui
avait pratiquement le même âge que moi, se tut durant toute la conversation: il
était déjà conscient du fait que ce
genre d’échanges pouvait apporter de sérieux embêtements avec les autorités
politiques. Il relata la discussion à notre grande sœur qui me réprimanda
sévèrement et m’avertit que si je continuais à me mêler à ce genre de
conversation, j’allais me faire arrêter. “Arrêté ?! mais pour avoir commis
quelle faute ?” me suis-je certainement dit à mon for intérieur.
Comme j’ai déjà
eu à la dire dans de précédents billets, il ne fallait surtout pas compter sur
l’inénarrable CRTV pour nous parler du côté contestataire politique de Lapiro,
ni du bâtonnier Yondo Black et de ses revendications pro-démocratie ni de la
déclaration cinglante que le cardinal Christian Tumi fit à l’endroit de régime
de Biya’a bi Mvondo à l’occasion d’une interview qu’il accorda au newsmagazine
panafricain francophone Jeune Afrique.
En fait, je
ferais justice à la CRTV en avouant qu’elle parla bel et bien de Yondo Black et
de ses acolytes. Mais à écouter et à voir les reportages, les analyses et les
commentaires, on aurait pu croire avoir à faire à une association de
malfaiteurs. Leur crime: avoir tenu une réunion en vue de lancer un mouvement
politique. Yondo Black et compagnie furent condamnés à de sévères peines
d’emprisonnement ferme, mais furent libérés moins d’un an et demi plus tard.
Comme je n’ai
cesse de le rappeler, la propagande officielle tournait à plein régime et nous
étions de fieffés ignorants, surtout les adolescents que nous étions.
Commentaires
Enregistrer un commentaire