Accéder au contenu principal

Réflexion sur la curieuse expérience totalitaire de Thomas Sankara

Il y a quelques semaines, les utilisateurs actifs de Facebook dont une bonne partie des amis sont des Africains ont certainement remarqué qu'une bonne partie de ceux-ci avaient remplacé leur image de profil par celui de Thomas Sankara, le pittoresque président du Burkina Faso tué en 1987. C'était avant que les portraits de Mandela arrachent la vedette plus tard. Mes concitoyens d’Afrique, dans leur quête inassouvie de l'Homme providentiel ou du héros à la figure de prophète et de messie, ne se sont jamais embarrassés de savoir si le héros tant désiré était un autocrate totalitaire... comme c'était le cas pour Sankara.

Petite club d'autocrates totalitaires. Devinez qui fut le moins cruel.


Un mythique héros d'enfance

Quand Thomas Sankara fut abattu en octobre 1987, ce fut en grand émoi dans les chaumières au Cameroun. Mes petits camarades du quartier -nous avions alors entre 6 et 9 ans- me parlaient de Sankara avec une profonde admiration. Il me décrivait sa frugalité et sa simplicité, le fait par exemple qu'il roulait dans une modeste jeep et préférait le treillis militaire aux belles et couteuses vestes et chemises. Nul doute que pour mes amis, Sankar était un vrai superhéros de la trempe de Superman. Et bien sûr, des hypothèses rocambolesques circulaient sur le meurtre. Pour mes amis qui avaient des oreilles plus attentives que les miennes aux ragots de débits de boisson alcoolisée, nul doute que Sankara fut victime d'une vaste conspiration internationale comprenant la France -comme toujours !, le Côte-d'Ivoire, la CIA et la Libye de Khadafou -sapristi !- et exécutée par Blaise Compaoré agissant forcément par traitrise et lâcheté.

D’accord, j'exagère un peu: mes amis ne me livraient pas l'intégralité des fumeuses théories sankaristes qui n'ont cessé de courir depuis cette époque. Mais comme d'habitude, le France n'avait échappé aux accusations du perpétuel tribunal des peuples d’Afrique noire qui tenaient là encore une formidable opportunité d'incriminer l'Occident comme responsable de son arriération politique, socio-économique et même culturelle. À l'époque, nous savions à peine lire et écrire, nous connaissions à peine l'histoire du Cameroun et l'hymne national.

Si on nous avait demandé quel intérêt la France trouvait à éliminer politiquement et physiquement Sankara, nous aurions eu du mal à arguer la nécessité pour la métropole de garder un pays supposément membre de son pré-carré. Nous étions encore trop naïfs pour savoir que bien avant Sankara, les premiers dirigeants de l'ex-Haute-Volta s'étaient déjà émanciper de la tutelle française et que le Burkina Faso comptait bien peu dans le système françafricain de Jacques Foccart. Dans le même élan, nous aurions avancés des poncifs du genre: "La France a éliminé Sankara pour faire main basse sur les richesses naturelles du Burkina Faso." dans notre ingénuité d'enfant, nous ignorions que le Burkina était dépourvu de ressources et que sur le plan stratégique, ce pays comptait peu ou pas du tout.

Propagande à RFI

À l'occasion du 30ème anniversaire de l'accession au pouvoir de Sankara et de sa junte militaire révolutionnaire, Archives d'Afrique, l'excellent programme radiophonique de RFI dédié à l'histoire contemporaine de l'Afrique, y consacra plusieurs émissions. Bien sûr, la tonalité du narrateur Alain Foka relevait carrément de l'hagiographie. La notion d'équilibre éditorial gisait pour un temps au fond d'un placard. On aurait dit une émission de propagande dont pour la cause sankariste n'avait rien à envier à celui du site thomassankara.net. Connaissant le tropisme d'Alain Foka pour les "Pères de l'indépendance", les "Pères de la Nation" et autres "Présidents-Fondateurs" qui étaient quasiment tous des autocrates et souvent des dictateurs totalitaires, je n'en fus pas surpris.

Mais, l'écoute de l'émission m'a plongé dans une profonde amertume. Comment la jeunesse négro-africaine peut continuer à adopter comme modèle un dirigeant totalitaire, cette même jeunesse qui n'accepte pourtant plus -à raison- que leurs parents choisissent leurs conjoints comme à l'époque précoloniale? Il fallait être aveugle pour ne pas constater que Thomas Isidore Noël Sankara, si adulé par nos progressistes africains, était bel et bien un autocrate totalitaire à l'instar de Lénine, Staline, Mao Tsé-toung, Hitler ou Sékou Touré, la cruauté en moins.

Une épopée totalitaire

Par son régime révolutionnaire, il comptait régenter tous les aspects de la vie de ces concitoyens c'est-à-dire par exemple comment ils devaient se vêtir, quels aliments ils devaient consommer, quels livres ils devaient lire, quelles personnes ils devaient admirer ou le standard de vie qu'ils devaient adopter. Ceux qui ne se pliaient pas aux orientations totalitaires du régime étaient accusés de freiner "la marche radieuse de la révolution". S’ils étaient fonctionnaires, ils étaient purement et simplement "dégagés", autrement dit licenciés.

Des syndicats, qui au début applaudir la révolution, s'en éloignèrent quand ils se rendirent compte que l'amélioration de leurs conditions de travail et l'augmentation de leurs rémunérations n'étaient pas à l'ordre du jour. La priorité était à une austérité qui tendait souvent à la caricature et ces Burkinabés qui rechignaient à être aussi frugales que Sankara et affidés devenaient des "ennemis de la révolution".

Ces "ennemis" devaient être dénichés par les CDR (comité de défense de la révolution), organes populaires court-circuitant les institutions judiciaires classiques, qui pratiquaient volontiers l'arbitraire, la délation, l'intimidation et les règlements de comptes personnels. Pour se défendre, Sankara parla de "dérives", refusant ainsi de reconnaître que le système juridico-institutionnel parallèle qu'il avait mis sur pied favorisait justement ces dérives. Puisqu’il n'y avait plus de véritables contre-pouvoirs pour les combattre, les dérives devenaient consubstantielles au système révolutionnaire.

Quand totalitarisme rime avec inculture économique

Thomas Sankara, dont le cerveau et l'esprit furent tellement imbibés de ces poisons idéologiques que sont le marxisme-léninisme et la théologie de la libération, re-scénarisait la guerre des classes en Afrique. Il procéda ainsi à une inutile réforme agraire bien qu'au contraire des pays latino-américains, son pays ne comptait pas une poignée de famille possédant l'écrasante majorité des terres. Quand il s'attaqua aux autorités traditionnelles, ignorant peut-être que le pouvoir des chefs coutumiers avait été considérablement érodé pendant la colonisation. Il n'était certainement plus capable de comprendre qu'une bonne partie de ses compatriotes étaient plus attachés à ces "féodaux millénaires" qu'à l'institution étatique issue de la colonisation.

Comme tout bon marxiste-léniniste, Sankara était un ignare en économie. Cela ne pouvait que le mener entre autres à mettre sur pied un rigide système de contrôle des prix et à augmenter les prix des produits agricoles. Un de ses hauts faits d'arme, qui relevaient qui relevaient de la déraison économique pure, fut de permettre aux locataires de logement de ne pas verser de loyers aux bailleurs pendant un an ! Comment les propriétaires de ces logements allaient-ils rentrer dans leurs fonds et où pouvaient-ils désormais trouver la motivation pour investir dans la construction de nouveaux logements qui auraient permis de satisfaire les besoins d'une population en pleine croissance démographique ? Voilà des questions qu'il était inutile de poser à des politiciens économiquement lobotomisés comme Sankara.

Un mythe construit à coups de mensonges

Les sankaristes s'empressent de mettre en avant les succès du régime Sankara dans les domaines telles que l'alphabétisation, la couverture vaccinale, l'adduction en eau, la construction des infrastructures sanitaires et de communication. À cela, on peut rétorquer que la Haute-Volta venait de si bas qu'une entreprise de mobilisation générale même émanant d'un gouvernement incompétent aurait produit des résultats appréciables. En outre, le Botswana et la Tunisie ont réalisé des résultats nettement plus remarquables sans emprunter la voie totalitaire, bien que la Tunisie vivait sous une dictature.

Les sankaristes évoqueront des progrès en matière d'émancipation de la femme. D'accord, on peut légitimement louer l'interdiction de l'excision. Mais que penser de la mesure qui obligeait les hommes à aller faire le marché pendant un jour de la semaine ? C’est à se demander pourquoi Sankara n'était pas allé jusqu'à obliger les pères à changer les couches et à bercer les bébés pendant trois jours au moins de la semaine ! Et comment être sûr que les maris machos ne confiaient la charge des courses à de jeunes hommes bienveillants ou voulant se faire un peu d'argent ! Ah j'oubliais: les fameux CDR veillaient au grain ! Vous avez dit: culture de la délation ?

Quand thomas Sankara fut tué lors du coup d'état du 15 octobre 1987, les sankaristes de tous horizons nous firent croire que tout un peuple pleurait son héros. On a voulu et on a réussi en grande partie à nous faire croire que:
Des hommes qu'on obligeait à faire le marché,
Les familles qu'on obligeait à planter un arbre à l'occasion de festivités,
les journalistes, qui parce qu'ils suivaient plus avec enthousiasme la révolution, virent le siège de leur journal incendié,
les fonctionnaires "dégagés" parce qu'ils goûtaient peu à l'austérité perpétuelle,
les chefs traditionnels humiliés et traités de "féodaux",
les Burkinabés nostalgiques de l'époque où boire de la bière importée ou se vêtir en t-shirts au design américanisé ne vous attiraient pas les remontrances sarcastiques du président,
ont gémi de toutes les larmes de leurs corps après le coup d'état tragique.

La fin tragique d'un révolutionnaire puéril

Il est vrai que la majorité silencieuse des Burkinabés, qui ne supportaient plus entre autres l'autoritarisme de la junte au pouvoir, les privations à n'en plus finir, le régime édulcoré de travaux forcés et les exactions des CDR, fut choquée par le meurtre de Thomas Sankara qui ressemblait -à s'y méprendre- à un assassinat en règle. Ces Burkinabés-là lassés de la révolution gardaient cependant une profonde estime à l'égard de Sankara dont la probité morale, le désintéressement matériel, l'abnégation au travail et l'esprit patriotique ne faisaient pas de doute. Mais de là à déclarer que le peuple burkinabé était attaché à la révolution sankaristes, il y a gouffre de mensonges que les zélateurs franchissent sans scrupules.

Thomas Sankara et ses compagnons jouaient à la révolution comme les petits enfants jouent à la marelle -ou pousse-pion comme on dit chez nous. Quand la révolution se mit à dévorer ses propres enfants, comme c'est trop souvent le cas des révolutions populistes et "anti-classes-dominantes", Thomas Sankara en devint la victime emblématique. Si Sankara avait eu un esprit aussi cruel que Sékou Touré, Staline ou Mao Zedong, la Burkina Faso aurait eu aussi son camp Boiro, son goulag ou ses camps de rééducation. Mais Sankara refusa devenir un despote sanguinaire, quitte à risquer de se faire tuer au lieu de tuer préventivement ses ennemis avérés ou supposés. Ce refus de la cruauté doit être loué de nos jours. Inutile d'ajouter des mensonges pour construire le mythe du héros Sankara.









Commentaires

  1. vérité ou mensonge? aux défenseurs de Sankara comme héros continental de nous le prouver. Il est temps de réagir.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Petite contribution à la mandelâtrie ambiante

Quand le jeudi 5 décembre 2013 dans la soirée vers 22 h, j'ai pris connaissance par la télé de la mort de l'ancien président sud-africain Nelson Mandela, je me suis dit: "Ça y est ! Voilà le concert de dithyrambes qui commencent et nous en auront comme ça pour plusieurs jours !" 

Frondes étudiantes et coups d'épée dans l'eau (troisième et dernière partie)

Qu’il me soit permis d’achever cette courte série d’articles par la narration de mon unique expérience de frondeur étudiant. Au delà d’un éventuel nombrilisme de l'exercice, ce récit donne un malheureux exemple de plus de l’inconsistance et de la morale sujette à question d'un bon bon nombre de leaders étudiants camerounais. Les événements narrés se déroulèrent à l'université de Douala en 2007, alors que j'étais sur le point d'achever mes études à l'institut universitaire de technologie.

Si la CRTV vous était contée

Cameroon Radio & Television (Photo credit: Wikipedia ) Un de mes professeur nous dit un jour qu'il fallait beaucoup de courage pour regarder la CRTV télé, la chaîne de télé publique du Cameroun. Il ne croyait pas si bien dire tant la télé publique, qu'on avait fini par surnommer  Canal Mendozé,  ne perdait jamais une occasion de mettre en rogne les jeunes télespectateurs dont les familles ne pouvaient pas encore se permettre de s'abonner à la télévision par câble. C'était en 2002 et bien que Gervais Mendozé soit parti il y a cinq ans, la CRTV continue de porter les blessures pulvérilentes de son ère qui dura près de 30 ans. La génération de Camerounais nés dans les années 90 ne peuvent se souvenir de cette CRTV qui nous régalaient avec des fuilletons et des fictions télé produites localement telles que L'orphelin, L'étoile de Noudi, les Feux de la rampe  ou Clin d'oeil. Soyez-en sûres, j'en oublie bien d'autres. Les enfants que nou