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L'âge d'une fraude nationale (première partie)

Tant que l'épervier de Biya'a bi Mvondo ne s'attaque qu'aux détourneurs de fonds publics, tant que Transparency International n'enquête que sur la corruption dans les services publics, tant que la corruption ne désigne au Cameroun que le fait de soudoyer avec de l'argent pour obtenir une faveur indue (ou pas), le Camerounais lambda se dira toujours que la fraude le concerne peu. Mais, si on jetait un coup d’œil sur la fraude aux actes de naissance, on verrait alors à quel point la fraude est devenue une culture largement partagée au Cameroun.



La fraude aux actes de naissance, voilà bien un sujet tabou dans notre pays ! Ni la presse, ni les intellectuels (ou ce qui en tient lieu), encore moins les hommes politiques n'en parlent. Dans les quartiers, les Camerounais se gaussent de tel footballeur international dont on n'ignore pas qu'il est bien plus âgé que ne le prétende les médias, de tel fonctionnaire croulant et grabataire dont on s'étonne qu'il n'ait pas encore officiellement atteint l'âge de la retraite ou de tel adulte dont on est surpris qu'il n'est pas été frappé par la limite d'âge pour se présenter à un concours de recrutement à la fonction publique.

Comment en est on arrivé là ? Qui sont ceux-là qui ont le plus recours à cette fraude ? Quels sont leurs motivations ? Pourquoi cette conspiration du silence ? Quelles peuvent sont les conséquences négatives de cette pratique sur notre société ? Des travaux d'universitaires, des ouvrages d'intellectuels et des enquêtes de presse auraient pu nous donner des réponses édifiantes à ces questions. Mais comme ils ont choisi d'ignorer le phénomène, le modeste citoyen lambda que je suis essaiera d'y apporter des réponses dans les lignes qui suivent.

Les origines probables


Dans les années 80 (et même de nos jours), on disait de quelqu'un dont on doutait de l'âge qu'il avait "l'âge de Kumba" ou "l'âge de Bamenda". Pourquoi assimilait-on les âges douteux déclarés à ces deux villes des régions anglophones du pays ? Certainement parce qu'au début, les Camerounais de la partie anglophone excellaient dans l'art de se fabriquer de faux actes de naissance. Mon défunt père aimait souvent nous raconter, en exagérant peut-être, l'histoire d'un Anglophone qui voulut se faire recruter dans la fonction publique à Yaoundé. On lui fit remarquer qu'il était malheusement trop âgé pour cela. Le brave n'en démordit pas. Après un voyage express dans sa région natale, il revint se présenter avec un nouvel acte de naissance dont l'âge déclaré avait été sérieusement raboté pour lui permettre de satisfaire au critère de recrutement !

Au risque d'être politiquement incorrecte, on peut penser que certains ethnies de la région anglophone ne s'embarrassaient pas de scrupules pour user de la fraude documentaire afin d'obtenir certains avantages. Mais, sans vouloir justifier leur attitude, disons aussi que la région anglophone était très arriéré sur la plan socio-économique par rapport au Cameroun francophone du fait de la colonisation britannique. Au risque d'irriter les anticolonialistes francophobes, rappelons que les réalisations de la France dans le Cameroun oriental furent bien plus importantes que celle du Royaume-Uni qui négligea le Cameroun occidental.

Après les indépendances, pendant la période du Cameroun fédéral (1961-1972), les Anglophones ne ressentirent pas vraiment leur retard en matière de capital humain, retard causé par le manque d'infrastructures d'éducation. En effet, ils disposaient d'une très large autonomie politique et économique et les mouvements de personnes et des biens étaient bien moindres. Mais quand ils perdirent cette autonomie-là du fait de l'Unification, ils durent se confronter sur le marché du travail et des échanges à des Francophones bien plus instruits. Peut-être est-ce alors l'incapacité à tirer leurs épingles du jeu dans un marché plus compétitif qui poussa des Anglophones à user des artifices douteux.

A l'époque du président Ahidjo, du moins quand ce dernier avait encore l'énergie pour diriger notre pays, le délit de faux et usage de faux était sévèrement réprimé dans la loi et dans la pratique. Mais il est bien probable qu'un grand bémol fut mis à cette rigueur pour ne pas frustrer encore plus les Anglophones déjà peu contents d'être obligés de venir à Yaoundé pour se plier à des formalités importantes ou pour postuler à un emploi dans l'administration centrale.

L'expansion de la pratique


Mais très vite, les Francophones trouvèrent vite l'avantage qu'ils pouvaient tirer de la combine. Celle-ci permettait de palier aux conséquences d'un début de scolarité tardive. Les parents de mon défunt père eurent ainsi recours à ce type de fraude pour lui permettre d'être admis à l'école primaire public bien qu'il avait dépassé l'âge maximum requis. Pour flouer le directeur de l’établissement, un instituteur qui était de connivence avec mes grands-parents présenta non pas mon père, mais un autre jeune garçon dont l'apparence physique correspondait mieux à l'âge indiqué dans le faux acte de naissance. Le stratagème marcha.

Mais comme une telle pratique exposait à de sévères sanctions, les parents qui avaient "prêté" leur enfant pour tromper le directeur voulurent faire chanter mes grands-parents. Ces derniers en furent bien effrayés et il fallut que l'instituteur use d'intimidation pour que le scandale ne parvienne pas aux institutions sécuritaires et judiciaires. Quand on voit aujourd'hui avec quel désinvolture les parents usent de telles pratiques et à quel point l’impunité protège leurs auteurs, on constate à quel degré les choses ont empiré !


Comme déjà dit plus haut, les Francophones commencèrent eux aussi à profiter du système: pour ne pas être exclus des écoles publiques pour limite d'âge dépassé d'autant plus que d'année en année, les seuils de ces limites étaient sans cesse rabaissés; pour pouvoir présenter des concours à la fonction publique; pour travailler le plus longtemps possible à la fonction publique; ou afin de faire carrière dans le sport, surtout le football.

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