Tant que l'épervier
de Biya'a bi Mvondo ne s'attaque qu'aux détourneurs de fonds
publics, tant que Transparency International n'enquête que sur la
corruption dans les services publics, tant que la corruption ne
désigne au Cameroun que le fait de soudoyer avec de l'argent pour
obtenir une faveur indue (ou pas), le Camerounais lambda se dira
toujours que la fraude le concerne peu. Mais, si on jetait un coup
d’œil sur la fraude aux actes de naissance, on verrait alors à
quel point la fraude est devenue une culture largement partagée au
Cameroun.
Les effets pervers
On ne mesure pas
l'effet dévastateur que la fraude à l'acte de naissance à sur
notre pays et notre société. D'ailleurs, nos faiseurs et leaders
d’opinion n'y voient vraiment pas quelque chose d'exécrable en
soit,sauf peut-être quand il s'agit de fonctionnaires croulant sous
le poids de leurs "vrais" âges et qui ne sont plus
capables d'assurer leurs fonctions. Ils ne voient pas l'inconvénient
de mettre un élève trop âgé -mais rajeuni grâce à son âge de
Kumba- dans une classe d'élèves bien plus jeunes qu'il pourrait
négativement influencer en matière d'éducation sexuelle ou qu'il
pourrait bizuter. Ils minimisent -à défaut d'ignorer- l'ampleur des
activités des réseaux de faux documents officiels qui, non contents
de se limiter aux actes de naissance, s’enhardissent à fabriquer
de faux diplômes, de faux titres fonciers ou autres documents
sensibles.
Mais le mal est
encore bien plus profond que cela parce qu'il touche à la mentalité
des Camerounais. La plupart des contempteurs des politiques
d'ajustement structurel sous la férule des institutions de Bretton
Woods tiennent la double baisse de salaire qu'ont subi les
fonctionnaires pour responsable de l'explosion de la corruption dans
les années 90. Ces critiques tombent dans l'erreur de l'économisme,
c'est-à-dire la propension à expliquer les comportements moraux des
individus à l'aune presque unique du niveau ou des fluctuations de
leurs revenus. Ils oublient ou feignent d'ignorer que les valeurs
moraux, les préjugés ou le vécu de ces individus déterminent la
réaction des individus en fonction de leurs revenus.
Or, pendant des
décennies, les Camerounais ont vu des concitoyens footballeurs,
ayant fraudés sur leurs âges acclamés, en héros quand ils
gagnaient. Le président de la république les décorait et en
faisait des exemples à suivre pour la nation. Mais ce même
président interdisait en même temps aux fonctionnaires de racketter
les usagers ou de soudoyer d'autres fonctionnaires pour obtenir des
faveurs indus. Ces fonctionnaires ont du se rendre compte du double
standard moral mais ne pouvaient exprimer leurs réserves à haute
voix. Rappelons qu'à l'époque du parti unique, on ne badinait pas
avec les olibrius qui osaient les contradictions morales du régime.
Quand la situation
économique de ces fonctionnaires s'est brutalement détérioré, ils
ne se sont pas encombrer longtemps de scrupules pour frauder eux
aussi comme les footballeurs. Ils le faisaient pour le bien de leurs
familles comme les sportifs le faisaient pour le bien de la nation.
Que valaient bien les récriminations d'un président qui venaient
tout juste de féliciter les Lions Indomptables composés de
talentueux et "jeunes" footballeurs ? Qu'importaient les
vitupérations des usagers qui étaient en même temps de grands fans
de footballeurs camerounais ?
Aujourd'hui, rien a
changé. Le gouvernement nous parlent de lutte contre la corruption
mais n'a jamais rien dit sur la pratique des faux actes de naissance
encore moins sur les "âges du football". Il s'en tient à
des assertions trop restrictives du terme "corruption" et
s'aveugle sur l'une de ses plus grandes manifestations morales au
Cameroun. Idem pour les journalistes. Les opposants politiques,
qu'ils soient leaders ou citoyens lambdas, font mine de s'arracher
les cheveux en guise de colère contre la corruption mais
s'empressent de féliciter nos 'jeunes" footballeurs" pour
fin de racolage électoraliste.
L'attitude de nos
intellectuels de pacotille est encore plus pitoyable et ubuesque.
Comme ils sont vaccinés au ridicule, ils vous recommandent le plus
sérieusement du monde de réinstaurer l'enseignement de la morale à
l'école pour faire face à la perte de valeurs chez les jeunes. Mais
à quoi va bien servir à une jeune élève une leçon sur la probité
et la corruption, étant donné que le jeune homme n'ignore pas que
son idole Eto'o Fils a aussi un âge du football et que personne ne
lui en fait le reproche ? Même pas l'enseignant de moral.
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