C'est
inconstable: le vendredi 25 juillet 2014, Boko Haram a frappé un
très grand coup au Cameroun par un raid visant Kolofata, une petite
contrée de la région de l'Extrême-Nord. Bilan des courses: plus
de 17 tués et au moins 20 personnes enlevées dont un lamido et deux
membres de la famille -dont l'une des épouses- d'Hamadou Ali, un
des plus puissants ministres et personnalités du régime de Biya'a
bi Mvondo. Cet évènement a eu le mérite de faire prendre aux
Camerounais lambda la vraie mesure la vraie mesure du problème Boko
Haram. On est bien loin des réactions d'allégresse à peine
dissimulées après les attentats du 11 septembre 2001.
Ben Laden, ce "héros"
Bien
sûr, on ne vit pas des foules de jeunes camerounais descendre dans
la rue pour fêter le nouveau héros Ben Laden qui avait réalisé
l'exploit de mettre à genoux l'Empire américain comme ce fut le cas
dans maintes nations arabo-musulmanes et dans des communautés
arabo-musulmane d'Occident. Au début, ce fut d'abord de l'effroi, de
la commisération et même de la compassion. Puis, le sarcasme repris
le dessus chez l'homme de la rue et dans la presse: "C'est bien
fait pour les Américains !" Dans les médias, des
"intellectuels", en fait des gens diplômés qui portent
d'assez beaux costumes et sont assez éloquents pour passer à la
télévision, et des journaleux déployaient des trésors
d'argumentation pour, sinon justifier le terrorisme, du moins y
trouver des circonstances atténuantes.
Si
l'auteur de ce billet est peu capable d'illustrer ses propos par des
exemples, ce n'est pas seulement à cause du temps qui dilue la
mémoire -n'oublions pas que années se sont écoulés- mais aussi
parce que c'est durant cette période qu'il cessa d'acheter par
complaisance des journaux indigents quant au contenu informationnel
mais noyés de commentaires antiaméricains. Idem pour la presse
audiovisuelle. Il n'y avait que l'inénarrable CRTV, la BBC
camerounaise -pardonnez l'analogie blasphématoire !- qui ne mangeait
pas trop dans cette soupe: elle n'aurait imprudent risqué de mettre
en faux Biya'a bi Mvondo avec l'Oncle Sam. Il ne faisait pas bon
d'être pro-américain comme tel était notre cas.
Dans
un débat enflammé avec un ancien camarade de classe, nous rélevions
que le terrorisme islamiste n'avait pas d'amis en ce sens qu'il ne se
donnerait pas la peine d'épargner des Africains si ceux-ci se
trouvaient à proximité des Occidentaux ciblés ou s'il classait,
par un retournement inattendu de la situation, ces Africains
devenaint des ennemis objectifs. En guise d'illustrations, nous
prenions les exemples des attentats de Nairobi et Dar es Salaam en
1998 qui firent 224 morts, dont seulement 12 Américains, le reste
étant des Africains bien entendu. Nous pensions aussi à cette
époque-là qu'une fois que les terroristes en auraient fini avec
l'Occident -hypothèse d'école bien sûr- ils se retourneraient
contre d'autres peuples qui ne respectent pas leurs visions de la
politique, de la religion et de la morale.
Du terrorisme, "arme du pauvre"
Bien
avant le 11 septembre, l'islam radical était déjà cause
d'augmentation des tensions dans quelques régions d'Afrique. Nous
nous limiterons qu'à citer le Soudan où l'arrivée au pouvoir
d'islamistes radicaux ralluma les braises du conflit entre un Nord
arabo-musulman et un Sud négro-africain animiste ou christianisé.
Cela dit, il n'était pas encore question d'entreprise terroriste.
Dans les États fortement islamisés d'Afrique, les populations
étaient encore trop marquées par la sécularisation ou le syncrétisme aux pratiques animistes pour laisser se développer
des mouvements radicaux. Mais la braise islamiste couvait déjà dans
le Sahel, le nord du Nigéria ou la corne de l'Afrique.
Comme
Blaise Compaoré, le sempiternel président du Burkina Faso, nombreux
étaient ces “intellectuels” camerounais qui prétendaient que la
misère était le terreau du terrorisme et que l'une des meilleurs
façons de combattre des entités comme Al Qaeda était de faire
reculer la pauvreté. Bel argument surfant sur la propension des
hommes à écarter le raisonnement froid pour y substituer une
approche ''humaine'' c'est-à-dire biaisée par du sentimentalisme !
Si vous arguiez que la germination des idéologies terroristes
relevait plus de l'absolutisme politique, morale ou religieux et que
la misère économique n'était très souvent qu'un prétexte pour
recueillir l'adhésion, vous n'auriez eu aucune chance d'être
écouté.
Et
puis, mus par une haine stérile et stupide de l'Occident, nos
concitoyens Camerounais en étaient à se réjouir de l'effondrement
des Twin Towers puis à fulminer contre la riposte américaine qu'ils
prirent à peine en compte des signaux inquiétants venant du
Nigéria. Le nord de ce pays avait déjà un précédent
islamo-radical au début du 19e siècle avec le djihad mené par Usman Dan
Fodio, un souverain peuhl du royaume de Sokoto. Lorsque des Etats
du nord du Nigeria instaurèrent le charia, des musulmans se
contorsionnèrent pour défendre ces mesures d'un autre temps dans
Connaissance de l'islam, une émission télédiffusée à la CRTV
consacrée à la prédication et l'enseignement de la foi islamique.
Schizophrénie et complotisme
Quand
en 2002 Mohamed Yusuf, un Camerounais (sic), fonda Boko Haram,
la sonnette d'alarme resta muette. Quand en 2005 des responsables de
la communauté de Douala alertèrent l'opinion publique sur les
entreprises de prosélytisme de la secte islamiste sur notre
territoire, nos ''intellectuels'' et journaleux ne nous livrèrent
aucune analyse digne de ce nom. Les Camerounais lambda ne prirent
vraiment connaissance de Boko Haram qu'au moment où ceux-ci se
mirent à enlever des Occidentaux au Cameroun. Et puis ce fut la
guerre ouvertement déclaré par Biya bi Mvondo. Quatorze ans après
avoir acclamé Ben Laden, une trop grande proportion de nos
compatriotes perçoivent la nouvelle menace par une attitude
schizophrénique.
Aiguillonés
par des commentateurs radio et télé dont on peut se demander s'ils
ne sont pas des évadés de l'hôpital psychiatrique Jamot de
Yaoundé, ils s'imaginent que Boko Haram n'est que le fruit d'une
machination de la France pour déstabiliser le Cameroun ! Et là,
vous n'avez qu'une version éthérée. Pour la version hard, vous
pouvez toujours regarder International Afrique Média, le média
camerounais complotiste par excellence. Mais ne la regardez pas trop
quand même, sinon vous finiriez par croire que la Terre est plate et
la Lune est une planète!
S'il
fallait accorder un mérite au coup de force de Boko Haram à
Kolofata, c'est d'avoir réduit à néant la grossière entreprise de
désinformation de notre gouvernement. Se moquant allègrement -et
peut-être à raison- de notre intelligence, il prétendait que nos
forces armés réussisaient à tuer 40 ou 100 combattants islamistes
dans de violents affrontements sans essuyer la moindre perte humaine
ni même une égratignure. Nous avions fini par croire que le
problème Boko Haram se réglerait les doigts dans le nez. Mais la
réalité nous a vite rattrapé. Mais la schizophrénie n'a que
faire de la réalité.
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