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Frondes étudiantes et coups d'épée dans l'eau (troisième et dernière partie)

Qu’il me soit permis d’achever cette courte série d’articles par la narration de mon unique expérience de frondeur étudiant. Au delà d’un éventuel nombrilisme de l'exercice, ce récit donne un malheureux exemple de plus de l’inconsistance et de la morale sujette à question d'un bon bon nombre de leaders étudiants camerounais. Les événements narrés se déroulèrent à l'université de Douala en 2007, alors que j'étais sur le point d'achever mes études à l'institut universitaire de technologie.



Apprentis-agitateurs

À l’université de Douala, il y avait deux apprentis-agitateurs (cette fois, je l’écris avec beaucoup d’ironie) qui ne manquaient pas une occasion de se faire remarquer : Billy Patipe et Cletus Tse Tabang, deux leaders d’un syndicat étudiant qui ne drainait pas les foule, mais se faisait remarquer par des actions d’éclat qui brillaient autant par leur radicalisme, inspiré du MANIDEM de Anicet Ekanè, que par les effets contre-productifs de leurs actions.

En 2005, réagissant à une fausse rumeur sur le meurtre de Mouafo Djontu, ils organisent une manifestation qui paralysent l'université pendant deux jours. Ce qui est encore plus déplorable, ce qu'ils refusent d'écouter les doutes à propos de l'information qui met le feu aux poudres. Un des meneurs de la contestation de 2004, mais qui depuis a retourné sa veste pour mangé dans la main de l'administration, réussit à joindre Mouafo au téléphone et veut lui passer Billy Patipe pour convaincre ce dernier de la fausseté de la rumeur. Mais Batipe, dans son intransigeance aveugle, refuse d'accepter qu'il se trompe et invective son interlocuteur. De nombreux étudiants sont témoins de la scène. C'est ainsi qu'après Njoya Moussa, Billy Patipe et Cletus Tse Tabang se décrédibilisent aussi.

Malgré ce camouflet, ils remettent le couvert en 2007 par des actions coup de point de perturbation des cours. Las, les autorités universitaires décident de les exclure. En réaction, les deux compères décident d'observer une grève de la faim en s'installant juste à l'extérieur du campus. Après moins d'une semaine, ils parviennent à gagner la sympathie des étudiants. Même les syndicats étudiants d'autres universités, en l’occurrence l'ADDEC et l'USBU de l'université de Buéa, leurs accordent leurs soutiens.

Je fais partie des nouveaux sympathisants des grévistes. Il ne se passe pratiquement pas de journée où le me tiens près d’eux sans pour autant leur adresser la parole. Habitant à quelques encablures, il m'arrive de rester très tard près d'eux. Mû par un profond sentiment de révolte, je pousse même la hardiesse jusqu'à rédiger un mot de soutien dans une sorte de livre d'or destinée à accueillir les messages écrits des soutiens et sympathisants. Je le signe même de mon nom et de mon matricule universitaire alors que la plupart des autres sympathisants préfèrent rester anonymes.

La nuit où tout bascule

Un soir, à la veille d'une grande manifestation qui marquera l'apothéose de la contestation, le rectorat de l'université fait venir une bonne escouade de cerbères surnommés Gros Bras du fait de leurs physiques imposants. L'un d'entre eux vient même nous faire la conversation et ignore lui-même la raison du rappel des troupes. Mais très tard dans la nuit vers 2 h, alors que je suis un peu éloigné pour prendre de l'air, je vois environ une quinzaine de Gros Bras venir molester les grévistes de la faim et ceux qui les assistaient - une étudiante de Buéa et deux autres jeunes hommes, brûlent leurs matelas, draps et documents et les amènent à l'intérieur du campus universitaire. Les infortunés, complètement surpris dans leur sommeil, ne purent esquisser un mouvement et n'eurent leurs voix pour hurler.

Environ une quinzaine de minutes plus tard, Billy Batipe, Cletus Tse Tabang et la jeune étudiante sont transportés dans un van et déposés hors du campus. Selon toute vraisemblance, ils ont été maltraités mais pas suffisamment pour provoquer des blessures physiques. La jeune femme, à demi consciente, a le pantalon jean baissée, ce qui nous fait penser, sur le coup, qu’elle a été violée. Mais, en remontant, son pantalon, j'observe que son caleçon serré, large et fait d'un tissu solide est intacte et bien remonté. Si elle avait été violé, il aurait fallu déchirer son sous-vêtement. Peu de temps après, d'autres membres du syndicats, prévenus par téléphone, viennent leur porter assistance. Je rentre à mon domicile me reposer avant la grande manifestation qui n'aura désormais que dans quelques heures seulement. Il est trois heures passées.

Dans la matinée, vers huit heures, des centaines d'étudiants sont rassemblés devant l'un des portails du campus, celui où les grévistes de la faim étaient placé jour et nuit. La tension est à son comble et les événements de la nuit précédente ont accru la colère et la détermination des étudiants. Les membres dirigeants de l'ADDEC, de l'USBU et les meneurs de la contestation de 2004 sont présents. La rumeur selon laquelle la jeune fille sus-évoquée a été violée met les esprits en ébullition. Il est décidé de pénétrer de force mais sans violence physique dans l'enceinte de l'université. Nous serrant les coudes pour former une succession pour former un mur mobile difficilement ébranlable, nous forçons l'entrée. Le but est de faire un sit-in devant le rectorat jusqu'à ce que celui-ci revienne sur sa décision.

Une manifestation sans violence

Tout se passe sans violence ni vandalisme. Quand certains étudiants un peu excités commencent à lancer des pierres, nous intervenons rapidement pour les en empêcher. Quand des benskineurs (conducteurs de moto-taxis), croyant bien faire, manifestent leur solidarité en lançant des projectiles, nous les enjoignons impérativement de ne pas s'en mêler. Le rectorat et les autorités administratives ont l'intelligence de ne faire appel ni à la police ni à la gendarmerie. A peine constate-t-on la présence de deux policiers. La cour du rectorat est transformée en lieu de meeting et foire d'animations.

En début de soirée, vers 18 h, le gouvernement annonce par voie de média l'annulation de la décision d'exclusion des deux étudiants. Billy Patipe nous lit la lettre circulaire qu'il vient de recevoir et nous demande de rentrer chez nous, puisque nous avons obtenu gain de cause. Quelques temps après, Cletus Tse Tabang, en l'absence de son compère, déclare que la manifestation doit continuer jusqu'à ce que toutes les exigences soient satisfaites. Peu importe que bon nombre parmi celles-ci soient tout simplement irréalistes, comme par exemple la démission du recteur Bruno Bekolo.

Un prémisse de discorde 

Des étudiants plaisantins, qui ne se sont joints à la manifestation qu'après avoir constaté l'absence d'un véritable dispositif répressif, confortent Cletus Tse Tabang dans son jusqu'au-boutisme par des acclamations. L'issue de cette grève est du pain béni, surtout quand on considère qu'à peine plus de cinq cent étudiants se sont mobilisés. Billy Patipe semble en être plus conscient et il a un vif échange avec son compère quand il se rend compte son compère tient à la foule un discours diamétralement opposé aux manifestants. Mais tout rentre dans l'ordre et les étudiants lèvent le camps avec le sens du devoir accompli.

Mais la suite des événements me fit déchanter sur la probité et le sens des responsabilités des ex-grévistes de la fin. Afin de solder complètement cette affaire, l'administration universitaire décida de les dédommager pour leurs biens détruits pendant la nuit sus-évoquée. A ma grande surprise, j'appris que Patipe et Tse Tabang prétendirent qu'un laptop et des smartphones en faisaient partie, ce qui était un mensonge éhontée. Ils poussèrent même la hardiesse au point d'appeler à une nouvelle manifestation mais personne ne les soutint dans leur démarche.

Epilogue

Aux dernières nouvelles, Billy Patipe put émigrer au Canada d'où il lançait, avec la légèreté d'une personne qui ne peut subir les conséquences de ses actes, des appels à l'insurrection. Il se fait plus discret aujourd'hui. Clétus Tse Tabang, grand consommateur de chanvre indien, vit sa santé mentale sérieusement affectée. Le syndicat implosa après que Patipe et Tse Tabang n'eurent pas la générosité de partager avec leurs camarades syndicaux l'importante somme d'argent en guise de dédommagement.

Et votre serviteur a résolu d’être encore plus méfiant envers ces meneurs-là qui, de manière inconsidérée, s’engagent dans des épreuves de force, se plaignent de la répression qui en résulte et réclament le soutien populaire, bien qu’ils n’aient pas eu la sagesse d’obtenir le conseil des gens du peuple avant d’entreprendre leurs actions périlleuses.

Afin d'accéder à la première partie et à la deuxième partie de cette série d'articles, veuillez cliquer sur les liens suivant:
Frondes étudiantes et coups d'épée dans l'eau (première partie)
Frondes étudiantes et coups d'épée dans l'eau (deuxième partie)

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