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Une enfance dans les livres


Un obscur chroniqueur, Dee Lee, d'une radio new-yorkaise diffusa sur les ondes un libelle violent sur le rapport au livre qu'avaient les Africains, en l’occurrence les Noirs américains. Une part importante de son propos pouvait être résumé en cette phrase : « Si vous voulez cachez quelque chose à un Noir, mettez-le dans un livre ». Indéniablement, la chronique de Dee Lee s'imprégnait fortement de préjugés racistes, manifestait une effarante méconnaissance des civilisations négro-africaines et ne se privait pas de flirter avec l'injure. Mais elle relevait aussi le dérangeante question de notre rapport avec le livre.

J'ai eu le privilège d'être né de parents qui avaient compris l'importance de l'instruction non seulement par le système scolaire mais aussi par les livres. Quand notre père en avait encore les moyens, il s'était pourvu d'une petite bibliothèque qui comprenait près d'une centaine d'ouvrages. Celles qui contribuèrent le plus à ma culture -et à celles de mes frères et sœurs- furent le dictionnaire Le Petit Larousse Illustré et la série encyclopédique Larousse en 9 volumes. Quand notre père me permis de les consulter, il m'ouvrit grandement les portes d'un univers fantastique : celui des savoirs humains.

N'allez surtout pas croire que le niveau d'étude de notre père côtoyait des cimes : son diplôme le plus élevé n'était qu'un probatoire en comptabilité. S'il est vrai que la rémunération des premiers emplois qu'il obtint lui permettait de dépenser pour l'achat de livres des centaines de milliers de francs, je dois ajouter qu'il avait cultivé la bonne habitude de dépenser son argent pour son instruction livresque pendant son adolescence qu'il vécut pourtant dans la pauvreté et la précarité matérielle.

Le cas de notre mère est encore plus probant. Elle s'était arrêtée en classe de seconde sans avoir réussi au CAP. Femme au foyer, elle tenta de se former en informatique -vers 1988 ou 1989- mais sans succès. Confrontée aux difficultés d'argent du foyer, elle retroussa ses manches pour vendre des sucettes. C'est elle qui nous -ma fratrie et moi- nous appris à lire en employant la bonne vielle méthode de la lecture syllabique. N'eût été le cas, nos instituteurs par leurs méthodes novatrices d'apprentis-sorciers, la fumeuse méthode globale, auraient fait de nous des attardés scolaires.

Preuve que l'intelligence -je ne parle même pas  la sagesse- ne s'acquiert pas obligatoirement avec le niveau scolaire, notre mère savait pertinemment que l'une des meilleurs façons de permettre à un enfant de s'exercer à la lecture, c'est de mettre des livres à sa disposition. Dotée naturellement d'un sens pratique au dessus de la moyenne, notre mère achetait astucieusement des livres hors programme chez des « libraires du poteau » à des prix modiques.

Il se trouve certainement des parents autant sinon plus méritoires que les nôtres quant à l'appréhension de l'importance de la lecture et des livres. Mais force est de constater -j'écris ces lignes avec un sincère dépit- la proportion de ce type de parents est infime même si on se confine à la population urbanisée et instruite de notre pays.

L'argument économique tant rabâchée pour expliquer cette situation est difficilement recevable. En effet, dans la plupart des foyers de la petite classe moyenne africaine, la simple disponibilité d'un dictionnaire sur l'étagère d'une armoire dans la salle de séjour est loin d'être garantie. C'est ainsi que les bibliothèques familiales se limitent au strict minimum obligatoire à savoir les livres scolaires pour les élèves et la Bible pour les foyers chrétiens. L'argument culturel doit être aussi battu en brèche puisque nous avons bien adopté des habitudes vestimentaires, culinaires et linguistiques de l'Occident.  

En accordant à l'instruction livresque une importance faible, nous faisons le lit de illettrisme, de d'inculture et de l'échec scolaire. Nous étonnons donc pas de voire notre jeunesse adopter comme modèles et repères des gens comme Samuel Eto'o ou Petit Pays qui n'ont eu leur salut autre que par les livres. En passant à côté de l'énorme richesse qu'on peut tirer de la lecture, c'est l'avenir d'une génération qu'on hypothèque.                    

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