Depuis plus d’un
mois, les abonnés à AES Sonel, la compagnie d’électricité, subissent des
coupures plus que fréquentes de courant électrique. Dans le quartier de Douala
où je réside et travaille, la fourniture d’électricité est suspendue chaque
jour pendant une durée d’au moins deux heures. Bien que cela soit source de
gêne domestique et de manques à gagner pour un bon nombre d’opérateurs
économiques, la population élève peu la voix pour exprimer un quelconque
ras-le-bol et les heures d’obscurité nocturne sont vécues avec une certaine
résignation.
On est bien loin
de l’année 2001, quand le gouvernement camerounais venait juste de céder la
Sonel, alors propriété de l’Etat, à la multinationale AES Sirocco. A cette
époque-là, des concerts de cris d’orfraie et de récriminations accueillirent la
privatisation de la Sonel. Les slogans antioccidentaux et anti-américains du
genre “U.S., go home!” faisaient florès. Que n’avait-on pas attendu à propos de
la recolonisation économique du Cameroun, de l’accaparement d’un bien national
par le capitalisme multinational ou de la spoliation de nos richesses?
Comme par
enchantement, les décennies de la gabegie dans la gestion de la Sonel étaient
oubliés. Il en était de même pour le lourd passif financier qu’elle trainait ou
encore l’obsolescence d’une bonne partie de son équipement de production et de
distribution. Qui se souvenait encore de la gestion patrimoniale empreinte de
népotisme et de favoritisme de son dernier directeur Niat Njifenji Marcel resté
à sa tête pendant près de vingt ans? N’ayant cure d’un éventuel conflit
d’intérêt, Niat Njifenji cultivait à titre personnel et vendait à la Sonel les
pins dont cette société se servait comme poteaux électriques.
Peu après que
les Américains d’AES Sirocco eurent pris les commandes, notre pays connut une
mémorable période pénurie d’énergie électrique. Cette époque-là que le mot
“délestage” entra dans le vocabulaire populaire. AES mettait en cause la
faiblesse de la pluviométrie qui affectait le régime hydrométrique des fleuves
qui alimentaient nos barrages hydroélectriques. Nos journaleux, politicards et
intellectuels de cabaret, qui ne l’entendaient pas de cette oreille nous
sortaient des arguments simplets du genre: “Avant l’arrivée des Américains, il
n’avait pas ces problèmes de pluviométrie ?”
J’avais beau
consulter nos journaux -disons plutôt feuilles de choux, je n’y avais
trouvé aucun article présentant avec tableau ou graphique à l’appui
l’historique des variations de la pluviométrie au Cameroun. Encore moins la
preuve chiffrée que nos barrages produisaient une quantité d’énergie électrique
bien supérieure au besoin. Bien sûr, notre presse rappelait bien peu -sinon,
pas du tout- que ce même problème de pluviométrie s’était déjà manifesté avec
la même acuité deux ans auparavant au point où l’inénarrable CRTV, la
radio-télé publique, en avait parlé. Mais en 1999, la Sonel, pour ne pas se
mettre à dos le Cameroun qui compte (sic), avait reporté la charge du
déficit énergétique sur les petites villes et les campagnes, là où justement
les journaleux, les politicards et les intellectuels de cabaret ne vivent pas.
Dans le débat
qui avait cours, le rationnel et le raisonnable n’étaient pas les choses les
plus partagées. Les ergoteurs qui s’opposaient sans concession à la
privatisation carburaient plutôt à l’obsession antioccidentale et à un
nationalisme arriéré.
La nouvelle
direction d’AES Sonel avait entrepris de faire le ménage dans les effectifs.
Les ressources humaines étaient mal déployées pour cause d’incompétence et de
népotisme. Une bonne partie des employés avaient été recruté sans avoir les
qualifications requises. Pis encore, beaucoup d’autres avaient présenté des
diplômes ou des actes de naissance falsifiés afin d’être embaucher, de
bénéficier de promotion professionnelle ou de pouvoir travailler plus longtemps
que ne le permettait la réglementation.
Tout ceci était
un secret de polichinelle mais quand les syndicats s’opposèrent furieusement à
ce toilettage. Faits sans précédent, ils pratiquèrent même des actes de
sabotage en interrompant intempestivement la fourniture d’électricité aux
usagers. Il n’y eût pas grand monde pour condamner ces syndicalistes qui se
fichaient bien de l’intérêt général qu’ils prétendaient défendre et n’avaient
qu’à cœur la préservation des avantages indus.
Peut-être
qu’aujourd’hui, les Camerounais ont fini par admettre de simples réalités. Que
la production de nos barrages peinent à satisfaire nos besoins. Que AES Sonel,
qui n’existe que parce que des investisseurs veulent fournir un service en
échange d’un bénéfice financier, ne peut pas se permettre de construire des
barrages ou des centrales nucléaires... d’autant plus que des politicards
démagogues ne se priveraient de les nationaliser s’ils en avaient le pouvoir.
Peut-être que
les Camerounais ne réagissent plus par simple indolence ou délitement de
l’esprit civique. Je ne m’en réjouis pas, mais je préfère de loin cette
pondération amorphe au tumulte inepte de 2001.
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