Cela doit remonter à plus de dix ans que je n’ai plus acheté
un journal camerounais. Passionné d’actualités à l’époque, élève en classe de
terminal, je m’étais donné comme défi d’acheter un journal chaque semaine.
Parmi les publications principales, mon favori était Le Messager pour sa liberté de ton et son impertinence à l’égard
des tenants du pouvoir politique. Mais, afin de garder une certaine ouverture
d’esprit, je me procurais tous les titres édités régulièrement, même Cameroon Tribune, le quotidien détenu
par l’État, dont l’allégeance au
gouvernement crevait les yeux.
Par contre, mon père, qui lisait aussi beaucoup la presse, ne
cessait de la critiquer de façon acerbe.
Il l’accusait : de s’être largement décrédibiliser entre 1990 et
1993 en diffusant de fausses nouvelles ; de se taire sur des méfaits que
commettaient certaines personnalités politiques ou du monde des affaires à
cause de leur accointance tribale avec la plupart des directeurs de publications
des grands journaux privés ; de
manquer de professionnalisme au point de publier des articles truffés de
grossières fautes d’orthographe et grammaire et écrits dans un style alambiqué.
En partie parce que je flairais des relents de tribalisme dans
les propos de mon père, je restais imperméable à ses griefs. J’avais une très
grande admiration pour le journalisme et soutenait indéfectiblement la presse
camerounaise dans sa contribution à une profonde et durable mutation
démocratique du paysage politique et sociale de notre pays. J’étais alors
aveugle aux graves manquements de nos journaux. Mais après l’élection
controversée de W. Bush en novembre 2000, leur façon de traiter l’actualité
liée aux États-Unis allait sonner le
glas de mes illusions.
Attaché au libéralisme politique et économique, épris d’une
Amérique qui revendiquait sans complexe des idéaux de démocratie et de liberté,
je découvrais avec tristesse et colère une presse camerounaise profondément
antiaméricaine, indigente sur le plan éditoriale et cédant à la facilité des
poncifs. N’étant pas masochiste, je ne pouvais plus consacrer une part non
négligeable de mon argent de poche pour l’achat de journaux dont la lecture
incitait ma colère.
Si au moins ces journaux respectaient leurs lecteurs en
distinguant clairement les articles d’opinion (les commentaires) des articles
factuels ou de fond (les informations), j’aurais peut-être pu en tirer un
bénéfice incomplet. Mais le fréquent mélange des genres ne pouvait que
provoquer une réaction de répulsion chez un lecteur établi dans des convictions
opposées aux commentaires du journal.
Guéri de mon enchantement naïf pour la presse camerounaise,
je me rendis compte du peu de sérieux de sa production par le fait par exemple que
des coquilles, des fautes d’orthographe et de grammaire qui pouvaient
facilement être détectées par un logiciel de traitement de texte comme MS Word,
passaient aisément le filtre de la correction et polluaient les articles
publiées. Pis encore, ces journaux qui faisaient la part trop belle aux
controverses politiques m’aidaient si peu à affermir ma culture générale, ne
contribuaient pas vraiment à l’amélioration de mon expression orale ou écrite
et ne me conseille pas sur des sujets pratiques de la vie quotidienne tels que
la recherche d’un emploi.
Mon expérience désabusée de lecteur de journaux camerounais
est loin d’être unique. Aujourd’hui, les tirages agrégés de nos principaux
quotidiens, à savoir Cameroon Tribune, LeMessager, La Nouvelle Expression, Mutations et Le Jour, dépassent à peine 30000 exemplaires. L’époque où Le Messager imprimait 40000 copies
relève du précambrien. Avertis de
l’indigence de leurs contenus, les Camerounais se contentent désormais de
consulter les unes exposées par les kiosques à journaux.
Exsangue financièrement, notre presse tend la sébile au
gouvernement pour réclamer une aide de 2 milliards de FCFA. Au lieu de se
remettre profondément en question, elle préfère nous faire payer par une
ponction sur nos impôts, sans que nous ne puissions les lire, ses journaux que
nous refusons d’acheter dans les kiosques. Comptons sur la mesquinerie de notre
gouvernement pour la laisser agoniser lentement mais sûrement.
"Exsangue financièrement, notre presse tend la sébile au gouvernement pour réclamer une aide de 2 milliards de FCFA. Au lieu de se remettre profondément en question, elle préfère nous faire payer par une ponction sur nos impôts, sans que nous ne puissions les lire, ses journaux que nous refusons d’acheter dans les kiosques."
RépondreSupprimerTiens, ça me rappelle furieusement la situation de la presse française.